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Les poèmes regroupés sous le titre général de QUELQUES MOTS DE HASARD emprunté à l'un d'entre eux sont tous postérieurs à la parution d'UNE SOURCE LOINTAINE et sont choisis parmi ceux qui m'ont semblé les plus dignes de figurer ici. Ils ont souvent fait l'objet de nombreuses retouches, et je pense ont atteint leur forme définitive, même si, comme disait Musset, il ne faut jurer de rien...
La plupart sont inédits; seuls quelques uns sont parus dans un bulletin ou à l'occasion d'un concours.
On trouvera successivement Chansons grises (10 titres), Litanies païennes (9 titres) et, sous le titre de Variantes un méli-
QUELQUES MOTS DE HASARD
Ce soir le souvenir sur les ailes du vent
un instant s'est posé au creux de mon épaule,
m'a soufflé à l'oreille en inversant les rôles
quelques mots de hasard que nous disions avant.
Dis ! que mâchonnes-
quel est ce mot brodé au dos de ta chemise ?
un grand B à bonheur ! cela n'est plus de mise !
tu me veux des ennuis ? mais non, je me défends !
Aujourd'hui plus qu'hier ou bien moins que demain,
des jamais des toujours qui fleuraient l'innocence,
tant de mots de hasard dits dans l'indifférence,
murmurés ou criés quelque part en chemin…
Le mistral s'est levé, il pleut des feuilles d'or !
la barque au fil de l'eau seule s'en est allée…
la jument de Julien hier s'est emballée,
le chien de Joséphine hurle encore à la mort !
Je sens le froid qui vient et le vent est au nord,
on entend l'âne braire au loin dans la vallée,
la colombe a frémi et puis s'est envolée…
l'été a des regrets, l'automne des remords.
Aujourd'hui plus qu'hier ou bien moins que demain,
des jamais des toujours qui fleuraient l'innocence,
tant de mots de hasard dits dans l'indifférence,
murmurés ou criés quelque part en chemin…
Que faisais-
tu as l'air bien chagrin ! as-
j'aimerais bien savoir pourquoi tu me bouscules !
je lis de noirs desseins aux lignes de ta main.
Et puis le souvenir sur les ailes du vent
a quitté d'un vol lourd le creux de mon épaule.
Je n'ai plus guère goût pour inverser les rôles,
pour les mots de hasard, ce n'est plus comme avant !
Aujourd'hui plus qu'hier ou bien moins que demain,
des jamais des toujours qui fleuraient l'innocence,
tant de mots de hasard dits dans l'indifférence,
murmurés ou criés quelque part en chemin…
TES YEUX.
Tes yeux sont cette porte ouverte sur ton âme,
évidence et mystère y brillent tour à tour,
sans fin j'aime y plonger quand me guide leur flamme
sur l'infini chemin de l'éternel retour.
J'y trouve des reflets de calmes, de tempêtes,
de larges agoras, des passages discrets,
de lourds nuages gris où le rêve s'arrête
quand tombe leur rideau sur un brusque regret ;
parfois des souvenirs concédés en partage
et parfois des secrets à jamais retenus,
des lieux trop visités, d'étranges paysages
rapportés au réveil de pays inconnus ;
parfois tant d'impatience et parfois tant d'attente
que la trace d'autrui s'estompe et disparaît,
parfois la crispation et parfois la détente
quand tu obtiens enfin ce que tu désirais ;
parfois la soumission et parfois l'insolence
ou le repli sur soi comme une pamoison,
parfois une impudeur à frôler l'indécence
quand monte le désir jusqu'à la déraison…
Quand au petit matin, à travers les persiennes,
le soleil peu à peu vient se poser sur eux
entre crainte et espoir j'attends qu'enfin survienne
ce fatidique instant où s'ouvriront tes yeux.
LA FEMME A SA FENETRE.
Je me souviens du temps où tu tissais ta toile,
habile tégénaire au grenier des amours,
attendant patiemment que mon regard se voile,
qu'en ton piège tendu je tombe pour toujours…
Insouciant, chaque soir, au détour de ta rue,
je passais comme en jeu auprès de ta fenêtre,
tout ignorant du jour où m'était apparue
cette fée attentive, ou ce démon peut-
Parfois je sifflotais, ne voulant pas paraître
à ta trouble présence attacher d'attention,
ou bien je te saluais, feignant de te connaître
depuis bien plus longtemps que nous ne nous guettions.
De temps en temps pourtant ta fenêtre étant close
je n'osais regarder si ton rideau bougeait,
j'imaginais le pire, un départ, autre chose,
mais je devinais bien qu'ainsi tu me piégeais !
Le jour vint où j'osai : je relevai la tête
et m'arrêtant d'un coup enfin je te souris…
apprenti roméo d'une experte juliette
en croyant conquérir c'est moi qui fus conquis.
PASSAGES
Et l'instant arriva de l'invention sublime,
du grand charivari où chaque fou s'abîme,
où chacun devient l'autre et lui-
et l'aura se confond au corps qui n'est pas soi.
Tremblant, j'entrai dans toi !
Dire avec quel délice chacun enfin découvre
les silencieux désirs du corps aimé qui s'ouvre,
sent comme en lui monter l'indicible frisson
du transfert éperdu où se perd la raison.
Car enfin tu es moi !
Allongé contre toi au lit de nos attentes,
j'entends monter en nous des ardeurs insolentes
et je glisse mon âme en ce temple discret,
dans l'émouvant espoir de ce moment secret
où tout explose en soi.
Ecoute ! Tu es moi ! Je suis toi ! Un soleil
brûle dans nos deux cœurs jusqu'au fond du sommeil
où nos corps épuisés par l'impudique échange
ont fini par plonger. Voluptueux mélange :
ni toi, ni moi ... Tu vois !
JE NE T'ENTENDS PLUS RIRE…
Tu marchais fièrement, robe claquant au vent ;
l'empreinte de tes pas dessinait sur le sable
le parcours arabesque et le chemin mouvant
qui défiaient la vague et son cycle immuable.
Un sourire à ta lèvre attachait mon désir
au rêve de tout boire à ta source impudique,
et la vie et le temps n'auraient osé finir
tant que m'aurait bercé ta lascive musique.
Et l'éclat de ton rire ponctuait mes nuits entières
de moments merveilleux qui me blessaient parfois
mais toujours attisaient mes fragiles chimères…
Je ne t'entends plus rire ou ce n'est plus pour moi !
Je t'avais amarrée aux rives du sommeil,
serrée entre mes bras quand ton ciel était lourd
de promesses d'orage ou de parfums d'amour,
gardée au chaud de moi jusqu'à l'instant d'éveil.
J'ai plongé dans tes yeux avant que tu ne fermes
ton cœur à mon désir et ton désir au mien,
j'ai lu mon avenir dans le creux de ta main
sans jamais deviner qu'en approchait le terme.
Et l'éclat de ton rire ponctuait mes nuits entières
de moments merveilleux qui me blessaient parfois
mais toujours attisaient mes fragiles chimères…
Je ne t'entends plus rire ou ce n'est plus par moi !
J'ai gravi pas à pas avec obstination
le dur sentier pentu où m'enchaînaient nos rêves,
descendu marche à marche au gré des tentations
vers l'abîme infernal pour des amours trop brèves.
Tu m'avais habitué à des jours de lumière,
à des matins sans fin, à des nuits sans repos…
me voici désœuvré, bras ballants, solitaire,
toujours sevré d'espoir, toujours levé trop tôt.
Et d'évoquer ton rire éveille en ma misère
ces moments merveilleux qui me blessaient parfois
mais toujours attisaient mes fragiles chimères…
Je ne t'entends plus rire, ou alors c'est de moi !
AVENTURES D'ENFANCE. (1)
Enfants nous traversions ces pays d'aventure
qu'en nos chemins depuis n'avons jamais revus…
Dans le jardin public récrivant nos lectures
nous inventions sans fin cent détours imprévus !
Chaque jour, emportés en des élans de fous
par les vents alizés sur nos voiles diaphanes,
d'effroyable tempête en inquiétant redoux
nous partions affronter les rigueurs océanes !
Lassés de naviguer parfois nous abordions
en audacieux marins sur quelque île lointaine
et sur le sable noir, allongés, nous rêvions
à d'éternels jeudis, semaine après semaine…
A travers les pampas nous chevauchions sans trêve
d'improbables coursiers, sans peur et sans repos,
que descende la nuit ou que le jour se lève,
tournoyaient nos bolas au-
Sur nos fougueux mustangs nous osions quelquefois
chasser le lourd bison aux plaines d'Amérique,
provoquant tour à tour l'irascible Iroquois
ou le soldat sudiste en combats homériques.
Bravant les piranhas, remontant les courants
d'impétueuse Amazone en sauvage Orénoque
à de sombres indiens au regard menaçant
pour des pépites d'or nous troquions nos breloques.
Dans le Grand Nord glacé, nous chaussions nos raquettes
pour longer les Grands Lacs. Courbés sous le blizzard,
intrépides trappeurs vêtus de peaux de bêtes
de dangers en dangers nous allions au hasard.
Sur le kiosque à musique on montait à l'assaut
d'imprenables châteaux aux terres sarrasines…
et nous mourions enfin dans un dernier sursaut
quand le soir apportait... des odeurs de cuisine.
(1) Une variante de ce poème a été primée à l'occasion du
Printemps des poètes 2011 par le Cercle poétique de Sainte-
Victoire
EST-
Comme un regard tôt détourné
à l'instant où deux corps se frôlent,
comme un désir abandonné
à l'instant d'assumer son rôle !
Comme un bateau au loin s'estompe
en s'enfonçant à l'horizon,
comme l'oiseau toujours me trompe
en se posant sur ma maison !
(Refrain)
Peut-
le goût de vivre qui m'abuse ?
Rêver de toi au fil des jours
et ne garder de ton amour
que du regret pour une intruse !
Peut-
Comme la main trop tôt lâchée
à l'instant même où l'on voudrait
garder toujours l'âme attachée
à la femme qu'on aimerait…
Comme l'orchestre au loin prélude
pour tant de gens trop assemblés
m'enfonçant dans ma solitude…
Aurai-
Comme en silence vient le soir,
la dernière note égrenée,
enchaînant la crainte et l'espoir
aux imprévus de la journée.
Peut-
en s'approchant à pas de loup
au lieu de l'ennui que j'accuse ?
Ma foi, je n'en sais rien du tout !
LE TEMPS D'HIVER
Voici venu le temps d'hiver,
la neige couvre mes sommets,
je ne me souviens plus d'hier,
mes jours s'écoulent à regret.
Prendre le temps n'est plus de mise
si l'on veut profiter de tout…
il n'est plus de partie remise
qui d'un échec ne prenne goût !
Chantonner paraît une insulte
ou un impair à tout le moins
et murmurer face au tumulte
dérange toujours un témoin !
Désirer frôle l'indécence,
aimer confine à l'irrespect ;
être attendri par l'innocence
d'un vieil ami fait un suspect !
Quand sonne le glas de l'absence
au creux lointain du val d'antan,
ne reste que désespérance…
Je n'en ai plus pour très longtemps…
PELERINAGE
Je suis monté rouvrir l'armoire aux émotions
où dormaient mes désirs parmi tes fanfreluches,
quelques lettres de toi, ton vieil ours en peluche,
comme autant de témoins de ce que nous étions ;
quelques cartes d'ailleurs plus jamais dépliées
de peur que leur papier à l'instant ne se brise
ou que de retracer de nos parcours l'emprise
ne fasse resurgir des douleurs oubliées ;
quelques livres trop neufs que tu n'as jamais lus
ou si peu que l'avoue un discret marque-
une photo de nous échappée à ta rage
lorsque tu décidas qu'on ne s'aimerait plus ;
de fragiles dessous au dessein indécent
que de froisser encore entre mes doigts je n'ose,
comme en ces temps lointains où la vie était rose
et le rythme des jours et des nuits incessant.
Mais aussi, bien caché au fin fond d'un tiroir,
ces poèmes de moi que tu lisais sans cesse,
dont tu riais afin que ton rire me blesse
en m'y voyant vieillir ainsi qu'en un miroir…
J'ai tout remis en place avant que de partir,
en scrupuleux servant de nos amours défuntes.
Sans effacer du temps la fatidique empreinte
j'ai refermé l'armoire avec un long soupir.
TRAITRISES D'ARBRES
Les arbres dans le vent lascivement murmurent
un chant d'éternité que nous n'entendons pas,
comme choristes sourds au néant s'aventurent
et parlent tour à tour de vie et de trépas.
En meute médisante à l'envi ils devisent
sur le ton sentencieux des marchands d'au-
qui monnayent l'enfer et la terre promise
ou des demains heureux à qui veut en voilà !
D'un lent balancement ils déguisent de calme
tempêtes, ouragans, blizzards en gestation ;
cachant leurs noirs desseins, ils s'habillent de palmes
et s'ornent de parfums pour tromper l'attention.
Ils dansent sans remord et sans pudeur aucune,
mitonnant lentement sans le moindre regret
ce bois dont nous ferons sans la moindre rancune
notre ultime demeure à l'ombre des cyprès…
© Couleurs d'automne
Photographisme Jac Kallos