Litanies païennes - JAC KALLOS, POEMES, TEXTES ET PHOTOS

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Litanies païennes

Quelques mots de hasard

PEUT-ETRE VIENDRAS-TU…

Peut-être viendras-tu dans cette chambre sombre
où s'écoule en silence une attente sans fin,
le mur de chaux désire impatiemment ton ombre,
et les fleurs au jardin retiennent leur parfum.

Peut-être viendras-tu à cette heure incertaine
où le temps ralentit son parcours sibyllin,
où l'orage au lointain par moment se réfrène
pour deviner ton pas au gravier du chemin.

Peut-être viendras-tu et d'un battement d'aile
la chouette en s'envolant d'un essor lent et lourd
,
attentive guetteuse annoncera ma belle,
ma douce, mon aimée à l'aube du retour.

Peut-être viendras-tu ? Chaque soir je t'espère…
l'arbre au plafond dessine un solfège mouvant,
du rythme de mon cœur accordeur solidaire ;
le chat dresse l'oreille quand oscille le vent.

Peut-être viendras-tu ? Chaque marche en sourdine
vibrera tour à tour d’un pas tant désiré
à cet instant
divin où enfin l’on devine
que surgit un bonheur qu’on a tant espéré.


Peut-être viendras-tu ? Et ta robe d'errance
d’un nuage drapant
ma fenêtre un instant,
sur le seuil de
ma nuit posera l’espérance…
le rêve… l’avenir… Tu sais que je t’attends !


 
 

Peut-être viendras-tu ?
Escalier à l'Isle sur la Sorgue
© Photo Jac Kallos

TENDRES PROJETS.

Bientôt, quand renaîtront les bonheurs terre à terre
nous nous égarerons au hasard des futurs,
ignorant les chemins, méprisant les barrières,
des jalons du passé affranchissant les murs.

Bientôt nous reviendrons en nouveaux découvreurs
deviner sous la mer tout le poids du néant,
écoutant des ailleurs remonter les rumeurs
de ceux qui psalmodiaient leurs prières aux vents.

Bientôt, imaginant d'une oreille attentive,
par-delà le fracas d'océanes fureurs,
d'une antique sirène une chanson plaintive,
des marins de jadis nous revivrons les peurs.

Bientôt, nous marcherons à grands pas sur la dune
respirant les embruns que portera le vent,
les nuages courant se joueront de la lune
et tu te serreras contre moi comme avant.

Bientôt, lorsque la pluie en douce trouble-fête
à un détour de nuit au loin nous surprendra
nous rentrerons mouillés, je sècherai ta tête,
te déshabillerai et tu me souriras.

PLUS TOT, PLUS TARD…

Plus tard quand nous irons où nous n'allions jamais,
découvrant pas à pas des souvenirs fragiles
de ces lieux jamais vus, ces villages, ces villes,
lirai-je dans tes yeux les mots doux que j'aimais ?

Plus tôt il sera tard, plus tôt sera le mieux
de chercher cet ailleurs que l'on nomme espérance,
ce rêve inassouvi remontant à l'enfance
mais qui résonne en nous déjà comme un adieu.

Plus tard nous reverrons ces animaux perdus,
compagnons effacés par la nuit ou l'absence,
et l'abeille au jardin toute à sa butinance
nous parlera d'un temps où nous ne serons plus.

Plus tard, en rejoignant d'inoubliés amis,
des frères tôt partis aux lieux de toutes sortes
où la vie en son pas contourné nous emporte,
douterons-nous toujours des paradis promis ?

Plutôt nous serons bien égarés outre part,
attendant, fatigués, sur la rive lointaine
le passeur impassible à la rame incertaine…
et nous dirons : trop tôt ! mais il sera trop tard !

DEJÀ

Déjà dans tes grands yeux piqués d'impertinence
quand je parlais d'amour ou bien d'éternité,
je lisais ce sourire trop empreint d'insouciance
dans un pressentiment d'être et d'avoir été…

Déjà quand tu jouais avec tant d'indécence,
sûre de ta beauté, sûre de ton pouvoir,
de ton charme étalé avec tant d'innocence,
montait en moi la peur d'un jour ne plus te voir.

Déjà quand nous allions toi et moi à l'espère
cent fois sur le chemin l'un à l'autre affrontés,
aux éclats de ta voix, au feu de tes colères
je devinais qu'hélas le temps m'était compté.

Déjà, quand revenu au lieu de mes souffrances
je refais les chemins où je fus encerclé,
du passé gronde en moi comme une délivrance
mais la geôlière, hélas ! a emporté la clé…

QUE REVIENNE LE TEMPS…

Que revienne le temps où nous rêvions ensemble
de dormir côte à côte et nous aimer toujours
du printemps à l'hiver, du soir au petit jour,
de ne jamais aller ailleurs qu'à bon nous semble.

Que revienne le temps où cœurs à la dérive
nous errions incertains, l'un sans l'autre égarés,
attendant que renaisse aux instants retrouvés
la douceur d'être deux et le goût de l'eau vive.

Que revienne le temps où peu à peu la peine,
les chagrins, les soucis séparaient lentement
les amants fatigués… Faisant fi des tourments
je saurai bien chasser et la peur et la haine.

Que revienne le temps où tu partis, cruelle,
je saurai bien te dire ou saurai bien crier
les mots qu'il eût fallu alors te murmurer
pour mieux te retenir, te rendre moins rebelle !

TENTATIONS JALOUSES.

Comment puis-je dormir quand tu dors près de moi,
que ta bouche entrouverte en appelle à ma lèvre,
que le désir s'acharne à réveiller ma fièvre,
que je n'ose t'aimer malgré tout mon émoi ?

Comment à chaque instant resterais-je serein
quand le vent longuement sur ta robe s'attarde
ou qu'un autre que moi tendrement te regarde,
qu'un regard inconnu se pose sur tes reins ?

Comment vivre sans peur, alarme ni tourment    
quand une ombre imprévue entre nous deux s'immisce,
qu'entre tes jambes nues une vague se glisse,
que le soleil sur toi s'attarde longuement ?

Comment imaginer pouvoir vivre sans toi
quand chaque heure qui passe où tu n'es pas présente
fait peser sur mon cœur tout le poids de l'absente
et me fait détester tout ce qui n'est pas toi !

PARENTHESES.

Quand la première fois, frôlant ta chevelure,
j'ai senti le désir soudain monter en moi,
de ce léger contact jaillit comme l'épure
d'un rêve d'avenir, d'un trouble, d'un émoi.

Quand aux longs jours d'absence où le temps s'éternise
se balançait la vie entre vide et espoir
je comptais solitaire à travers ma chemise
mes battements de cœur en attendant le soir.

Quand enfin approchait la fin de la journée,
tandis que s'animait la vie sur le palier
réveillant peu à peu toute la maisonnée,
je guettais impatient ton pas dans l'escalier

Quand la nuit quelquefois pesait la solitude
s'enflait le sentiment de n'être tout à fait
ni désœuvré, ni las, mais comme à l'habitude
j'attendais, égaré devant le lit défait.

Quand pour dernier adieu sur un lit de souffrance
je poserai la main au filtre de ton bas
je sentirai monter dans ma désespérance
comme un frisson d'amour à l'instant du trépas.

MÊME SI…

Même si, en chemin, tu frôlais le silence
de ton pas si léger qu'un oiseau s'est posé
au creux de ton désir sans peur et sans méfiance,
alors je t'entendrais et serais reposé.

Même si, en rêvant, d'un soupir d'innocence
tu enchantais ma nuit, tout à coup étonné
j'espèrerais inquiet qu'un souffle recommence
à parsemer ce lit d'émoi abandonné.

Même si, en nageant, tu noyais la rivière
dans l'or de tes cheveux par le flot ondulant,
je chercherais encore ainsi l'eau sur la pierre
les reflets de l'amour dans le soleil couchant.

Même si tu mourais, comme il faut bien qu'on meure,
me laissant seul à seul avec mon désespoir,
je rêverais encore en attendant mon heure
de t'entendre toujours et d'un jour te revoir.

PARFOIS, LE SOIR

Parfois le soir, chez moi, avec la solitude,
quand vient sentiment de n'être tout à fait
ni désœuvré, ni las mais comme à l'habitude
incertain, égaré, devant le lit défait,
je cherche en souvenir la flamme d'un regard,
ici en contrepoint, ailleurs en filigrane,
ponctuant mes désirs des regrets qu'un départ
à piétiner sans but à jamais me condamne.

Parfois, quand je refais nos chemins d'insouciance
où nous allions tout deux marchant d'un même pas,
je nous revois rêveurs, insouciants, sans méfiance,
jouant de mille mots qu'on se disait tout bas,
nous arrêtant sans cesse à chaque oiseau qui passe,
poursuivant du regard le vol d'un papillon,
retenant un instant, pour qu'à nouveau coasse
la craintive grenouille, notre conversation.

Parfois, lorsqu'en dormant, du fond de ma quiétude
renaît la sensation de t'avoir près de moi
ma main te cherche en vain et revient l'inquiétude
de savoir maintenant qui dort auprès de toi,
qui mélange son souffle à l'air que tu respires,
qui dans ses bras te tient au fond de ton sommeil,
qui te parle tout bas, te trouble et même pire ?
Toujours je pense à toi mais rien n'est plus pareil !

© Jac Kallos: "La rebelle", Paris 1959.

 
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