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UN CHOIX DE POEMES DE JACQUES MARLET
Il ne s'agit pas ici de donner une vue exhaustive de l'œuvre de Jacques Marlet, mais plus simplement de faire connaître ou retrouver quelques uns des poèmes qui m'ont semblé les plus représentatifs de sa poésie et de son évolution.
Une place particulière est naturellement réservée à son dernier recueil inédit.
Pour une découverte plus avancée, on pourra acquérir un exemplaire du Verger des Rêves (voir bon de commande en fin de site).
Dans Les ombres et les songes résonnent tour à tour les échos lointains des années toulonnaises et l'influence fantaisiste des vers de Carco ou de Vérane et un présent tourangeau tout de sensualité et de calme…
CABOULOT Pour Olive Tamari
Au bar béarnais, la brune Loulou,
Devant deux verres pleins,
Attend son tombeur, un jeune marlou
Que craignent les putains.
Cibiche à la bouche et traînant le pas,
Voici le souteneur.
La belle-
La dîme du saigneur.
Au fond du bouge où braillent les marins
Et des mecs sans aveu,
Un dur de dur jongle avec des surins
Pour se distraire un peu.
SOIR A TOULON
Le soir, le long du port, illumine les bars
Où de tendres phonos distillent des romances.
Des marchandes d'amour regardent en silence
Le bleu débarquement des marins du Jean-
Les yachts autour des mâts ont roulé leurs blancheurs,
Le flot plus mollement vient mourir sur la pierre.
Et, merveilleux poisson de rêve et de lumière,
La lune reste prise aux filets des pêcheurs.
AU JARDIN
Les palmes dans le ciel baignent leur nonchalance
Et frémissent soudain.
La Vienne, sous ses ponts, souple, coule en silence,
Avec calme et dédain.
Mais rompant la lumière où la poussière danse,
Tu entres au jardin.
Tu souris au soleil, au jet d'eau qui s'élance ;
Tu fleuris le matin ;
Et tu me dis : " L'amour est un jeu de balance
Où pèsent nos destins. "
Le mien, ô mon enfant, mon bel oiseau qui pense,
Repose dans tes mains.
Les poèmes du Verger des rêves (colonne de droite) couvrent une longue période vingt-
LA ROSE ET L'ANCOLIE
Dans le jardin de mon enfance
Ne viennent plus les belles
Dont j'aimais les jeux infidèles
Tout fleuris d'innocence.
L'une gagnait à la marelle
Un baiser sur la bouche,
Mais ne voulait que je la touche,
C'était une cruelle.
Fragile comme l'anémone,
Fuyait la plus jolie.
On murmurait que la folie
L'avait prise à l'automne…
Si le présent s'appelle absence,
Des amours en poussière
Ne renaîtra pas la lumière
Dans les yeux du silence.
Au blason de mélancolie,
Temps est venu de peindre,
Entre deux mains près de s'étreindre,
La rose et l'ancolie.
LES OMBRES
Sous la Porte Mordelaise
Où Villon passa jadis,
Un mercerot mal à l'aise
Brade hermine et fleur de lys.
Loger à l'hostellerie
Qui se pare de son nom,
Sa haute seigneurie
Du Guesclin vint-
Aujourd'hui Place des Lices
Plus de jeux, plus de tournois,
S'y dessinent les délices
De plus d'un joli minois.
Ces pas aux pavés sonores
Est-
Qui de la nuit à l'aurore
Couraient tous les cabarets ?
Ta maison, Cadet Rousselle,
Ne borde plus le canal
Que longeaient les jouvencelles
Au doux soleil automnal.
Dans les eaux de la Vilaine
Maintes belles ont sombré
Dont filous et tire-
N'ont pas voulu s'encombrer…
Ombres chères, puisque à Rennes
Flotte votre souvenir
Qu'il se transmette aux antennes
Du dévorant avenir.
ECUME DES MOTS, recueil terminé en 1993, soit quatre ans avant le décès du poète, regroupe quatre-
MARINE
Tu te liais à lui par la lisse langueur
Du bronze de tes bras où reposait son rêve.
Dans la perfection de sa pure longueur
Ton corps lui découvrait la douceur d'une grève.
Prisonnier des regards de tes profonds yeux pers,
Il cherchait sur ta chair la chaleur d'une plage
Et les longs rythmes lents qui montent de la mer
Lorsque le vent du large est tout chargé d'orage.
BRUME DU SOIR
Le lancinant appel de la corne de brume
Propage ses échos comme un caillou dans l'eau.
Un fin brouillard au ras des flots se fend et fume
Et dans une éclaircie on distingue un bateau.
La mer a sécrété le plus profond mystère,
Une île a disparu par quel enchantement ?
De tout son long le ciel s'est couché sur la terre
Et la nuit dans le frais s'infiltre lentement.
LA CROISIERE SANS FIN
Les vaisseaux fatigués de ne point voir les rives
Traçaient de noirs sillons loin du calme des ports,
Et le vent lourd de sel était chargé de rêves
Qui parlaient aux marins d'amour et de départ.
En nous éblouissant de leur blancheur d'amande,
Les flots nous rejetaient de l'un à l'autre bord,
Et nous errions ainsi jusqu'à la fin du monde,
Cherchant, trouvant l'oubli dans les boissons du bar.
LE MOCO
Je me souviens d'un moco
Qu'on appelait l'amiral.
Sevré de lait de coco
Il tanguait dans le mistral.
On le rencontrait souvent
Du côté de l'Arsenal.
Asséché par tant de vent
Il s'y rinçait le chenal.
Attiré par le fanal
Des maisons proches du Cours,
Il s'éloignait du canal
Pour d'éphémères amours.
LE PAYS MINIER à Pierre-
Tristesse des terrils surplombant les corons,
Ces amas de maisons comme des sœurs jumelles
Où crachaient leurs poumons les mineurs, les porions,
Ces arbres rabougris et cette herbe rebelle.
Ces chemins dévastés par la fureur du vent,
Ces ateliers déserts que dévore l'absence,
L'air chargé de poussier qui craquait sous la dent
Et le froid de la mort écrasant le silence…
LETTRE A mes amis chinonais
Lorsque le vin est bon pourquoi cesser de boire ?
Le dernier qu'on débouche est toujours le meilleur
Et toute soif s'accroît à changer de couleur ;
Mieux vaut lamper vos vins que l'eau de Vienne ou Loire.
Foin de ces fins gosiers qu'engorge une bouteille !
Le mien est desséché comme le Sahara
Et, si ma trogne a pris les teintes de l'ara,
C'est que depuis toujours j'aime téter la treille
CHANSON AUXERROISE Pour Marie Noël
Dans les bois de Pâmesouris
Ne fais pas tomber tes noisettes,
Te les mangeraient les souris
Riant des disettes.
Aux vignes vertes d'Heurtebise
Coule un vin fou, couleur de feu,
Que roule un cœur, le flot le brise
Et vit de son jeu.
Vois à travers le Gasselin
La forme qui fuit dans les gerbes,
C'est la fille aux cheveux de lin
Douce comme l'herbe…
LETTRE à Vincent Muselli
Ô mon Vincent, ta voix me tire de l'abîme :
J'entends sonner déjà les cloches de Paris,
Le plaisir de te voir brille aux vers que j'écris
Et, pour les embellir, fait rutiler la rime.
N'entends-
Les vallons vendangés sécrètent le chablis
Qui t'appelle et me dit : "Ah, que ton Muselli
Vienne goûter en moi la douceur de l'automne ! "
Quand nous discuterons en vidant les bouteilles
Qui dorment dans l'oubli d'où nous les tirerons,
Tu te demanderas pourquoi nous sommes…ronds
Et pour quelles raisons nous nous pendons aux treilles.
LE PINCEAU Pour Yves Brayer
Tu deviens chaque jour un peu plus de moi-
Tu te nourris de mon esprit et de mon cœur,
Tu sais ce que je vaux, tu comprends ce que j'aime
Et trouve la beauté dans l'ordre et la grandeur…
Quand tu ne seras plus qu'un long fuseau de bois
Promis à cette fin de ranimer la flamme,
Je ne pourrai jamais me séparer de toi.
Qui fut pendant des mois un morceau de mon âme.
Fac-
pour le livre "Yves Brayer par
La Bibliothèque des Arts, Paris 1966